J'ai trouvé ce petit hommage à Derrick qui correspond à ce que certains d'entre nous pensent tout bas gentiment (moi du moins

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Hommage à Derrick
Gilles Dal
Ainsi donc, Derrick est mort. L’inspecteur Derrick, ce fin limier à qui on ne la faisait pas, ce vieux briscard qui avait plus d’un tour dans son sac, ce satané bougre qui n’était jamais le dernier pour débusquer les coups les plus tordus, ce professionnel remarquable, ce collègue si apprécié, ce psychologue patenté qui parvenait d’un seul regard à faire parler les témoins les plus récalcitrants, eh bien cet homme respecté de tous a posé les armes, mis sa gabardine au vestiaire, et rangé définitivement ses lunettes à verres fumés dans l’armoire métallique de son bureau de la police criminelle de Munich.
Et ce qui me fait peur, c’est de me dire que les chaînes de télévision vont peut-être être tentées, pour lui rendre hommage, de rediffuser encore plus d’épisodes de "Derrick"! Bon sang, vous imaginez ce que ça risque de donner? Ça va virer au bourrage de crâne! C’est triste, quand même, quand on pense au nombre de séries de qualité, de penser qu’il va falloir se taper en boucle, pendant des années encore, des dialogues comme "ma parole, Helmut, ce drôle d’oiseau me donne du fil à retordre, et je m’engage à lui filer le train à travers tout Munich", "écoute-moi bien, petit Jorg: tes sornettes me tapent sur le système, alors tu es prié de te mettre à table, si tu ne veux pas qu’il t’arrive des bricoles dès ton retour à Düsseldorf", et autres "Gunther Schmitt, sachez que je vous ai dans mon collimateur, mon petit vieux, et que je compte passer tout Bonn au peigne fin pour trouver les preuves de votre culpabilité".
Pfff bon Dieu, pourquoi? Pourquoi cet incroyable succès de Derrick? Pourquoi cette passion pour ce sinistre inspecteur allemand, dont la simple vision suffirait à donner le cafard à une troupe entière de GO du Club Med, et à plomber l’ambiance d’un concert de "La bande à Basile"? Pourquoi un tel engouement pour ce type d’une antipathie crasse, au visage complètement fermé? Je ne sais pas si vous avez remarqué, en effet, mais quand on scrute le visage de Derrick, on ne sait jamais si quelqu’un vient de lui raconter une blague désopilante, ou si au contraire on vient de lui annoncer le décès de son meilleur ami. Impossible de savoir, même en observant sa tête de tout près, s’il regarde une tarte aux pommes, un cadavre, des enfants qui jouent, un homme qui en torture un autre, ou un spectacle érotique.
Alors, d’où vient son succès, à cet inspecteur par surcroît totalement dénué d’humour? Car là-dessus, les experts sont formels: rares, pour ne pas dire inexistants, sont les êtres humains à avoir moins d’humour que Derrick. Franchement, vous imaginez une soirée avec ce type? Quel calvaire! Les discussions poussives: "et sinon, inspecteur, quelles nouvelles? Résolu de beaux cas, récemment?", "euh des projets de vacances? Un peu au soleil, ou?", "euh et au fond, inspecteur, vous savez quand on passe à l’heure d’été, vous? Et là, euh on gagnera une heure de sommeil, ou on perdra une?", "dites, au fond, inspecteur: vous avez les petits risques, vous?", "et, euh vous êtes à jour question assurances? Oui? Parce que c’est le genre de truc qu’il ne faut pas perdre de vue, hein", "ah, ça dites pchhh et vous avez vu le dernier Navarro?. Alors? Bien? Plutôt décevant? Moi, j’ai bien aimé le dernier, en tout cas".
Pfiou, l’horreur! Alors, pourquoi suivre les aventures de cet inspecteur apathique et sans humour? Ce ne sont quand même pas les intrigues qui sont la clé de son succès: ce n’est pas compliqué, le coupable est toujours celui qui dit, au début de l’épisode, qu’il n’a rien fait! Celui qui dit: "je vous jure, inspecteur, je suis innocent, d’ailleurs j’ai un alibi". Eh bien lui, c’est le coupable!
Enfin bon. Comme disait Lao-Tseu, il ne faut pas toujours chercher à tout décortiquer: au même titre que la vie sur Terre, le succès de Derrick est un mystère, et prenons-le comme tel.
Mike
Plus j'y pense, plus je me dis qu'il n'y a aucune raison pour que le carré de l'hypoténuse soit égal à la somme des carrés des deux autres côtés.